Pourquoi la cigarette électronique a t-elle autant de succès ?

La cigarette électronique (ou e-cigarette) est en train de surprendre tout le monde. En France, 1,5 million de personnes s’y sont converties. Les ventes de tabac ont baissé de neuf pour cent depuis le début de l’année 2013. Une conversion est en train de s’opérer, où le nombre de « vapoteurs » dans le monde double chaque année. À ce rythme, on estime que la moitié des fumeurs aura basculé en France d’ici quatre à cinq ans, et dans le monde d’ici dix ans. Ce phénomène risque même de s’accélérer, car les modèles disponibles sont constamment améliorés.
Comment expliquer la surprenante efficacité de la cigarette électronique? Son succès est d’autant plus frappant que jusqu’à présent le sevrage tabagique était peu efficace, avec moins de dix pour cent de succès à long terme, malgré l’existence des substituts nicotiniques et le désir de 70 pour cent des fumeurs de se libérer du tabac.
Concrètement, l’efficacité de la cigarette électronique dans le sevrage se constate dans toutes les observations disponibles. C’est ainsi que plus des deux tiers, voire les trois quarts des vapoteurs ont arrêté de fumer… Chiffres que l’on retrouve sur le principal forum des vapoteurs, qui a posé la question suivante à ses blogueurs: « Avez-vous arrêté le tabac depuis que vous êtes passé à la cigarette électronique ? » Soixante- treize pour cent des 7 211 participants ont répondu oui. À ce jour, sept études parues sur ce sujet font état de 63 à 79 pour cent des utilisateurs qui ont arrêté le tabac.
Dans ce même forum, on constate que les personnes qui continuent à fumer tout en vapotant, le font occasionnellement dans 14 pour cent des cas (notamment le week-end), huit pour cent fumant moins de cinq cigarettes par jour, quatre pour cent moins de dix, et un pour cent fumant tout autant qu’au début. Ces études d’observation et les chiffres de ventes illustrent donc l’efficacité de la cigarette électronique dans le sevrage.
Mon propos n’est pas de traiter ici de la toxicité ou de l’innocuité de la cigarette électronique. Cette dernière ne contient pas de tabac et ne produit donc aucune combustion.
Elle ne libère ni goudrons (responsables de cancers), ni monoxyde de carbone (cause d’infarctus), ni parti¬cules fines solides (incriminées dans les bronchites chroniques). Ainsi, la cigarette électronique est infiniment moins toxique que la cigarette classique. En revanche, nous manquons de données sur le comportement à long terme des « vapoteurs ».
Quoi qu’il en soit, la question qui me préoccupe ici est: pourquoi la cigarette permet-elle d’arrêter le tabac, alors que les autres substituts nicotiniques n’y parviennent généralement pas? Pourtant, les consommateurs reçoivent de la nicotine avec l’un ou l’autre de ces dispositifs. En fait, ce constat ne fait que confirmer un fait crucial : la nicotine seule ne comble qu’une parcelle du manque du fumeur, celle qui correspond classiquement à sa composante physique, caractérisée par le stress, l’énervement, les fringales, les distractions et autres stimulus qui le poussent à fumer.
La différence vient du fait que la cigarette électronique comble aussi la dépendance psychologique au tabac, et pas seulement la dépendance pharmacologique liée à la nicotine. Elle se substitue à la nicotine, mais aussi à la façon de l’absorber.
Qu’est-ce que la dépendance psychologique ? On pourrait croire que c’est le geste de fumer, les habitudes dont le fumeur a tant de difficultés à se défaire. Toutefois, pour comprendre la force de la dépendance psychologique, il faut envisager ce que cache ce geste. Tout d’abord, il faut savoir pourquoi la plupart des gens commencent à fumer bien qu’ils ne trouvent pas cela bon au début, et tout en sachant que c’est très dangereux pour la santé. La réalité est que l’on commence parce qu’une partie de nous a été conditionnée pour désirer ce plaisir.
Les éléments constitutifs de notre bonheur sont acquis très tôt au cours de l’enfance, simplement en observant comment les adultes font pour être heureux. Ils sourient et deviennent volubiles, drôles et attirants en buvant de l’alcool? Nous le retenons, même si ces images proviennent de films ou de publicités. Ils sont satisfaits de porter des vêtements de marques? Cela nous conditionne aussi.
Et il en va ainsi de tout ce que nous cherchons pour être heureux, voire pour donner un sens à notre vie. Une maman heureuse avec ses enfants, ou des moments plaisants en famille donnent envie d’avoir des enfants. Des couples qui s’embrassent dans la rue ou dans les films, des parents affectueux entre eux, nous font désirer notre premier baiser. Il en est de même avec la maison, la voiture, l’argent, les loisirs, les vacances, le type de travail, les vêtements, la nourriture, l’alcool et la cigarette. La liste est longue de ces influences enfantines qui déterminent nos préférences dans la vie.
Il s’agit d’un conditionnement latent qui est mis en veille tant que nous ne sommes pas capables, de par notre âge, d’accéder à ces plaisirs ou satisfactions, mais qui détermine le sens que nous donnons à notre vie et nous pousse à nous les procurer. Cette notion est connue sous le nom de conditionnement vicariant, depuis qu’il a été démontré par le psychologue canadien Albert Bandura que nous sommes extrêmement influencés par l’exemple des autres dans nos choix personnels, même si nous agissons dans des sens opposés, en bien ou en mal.

Mais le conditionnement tabagique comporte aussi une part de conditionnement dit évaluatif, dès lors que nous admirons celui que nous observons prendre son plaisir. Si c’est James Bond qui prend un Martini, notre appétence pour l’alcool augmente, surtout quand nous sommes enfants ou adolescents… Et cela explique un phénomène qui est resté longtemps mystérieux : pourquoi les enfants de fumeurs se mettent-ils davantage au tabac que les autres, alors qu’ils sont double¬ment prévenus des méfaits et des dangers du tabac par des parents qui leur disent régulièrement : « Ne fais jamais comme moi ! »
Il a ainsi été montré que la proportion des jeunes âgés de 18 ans qui fument double quand l’un de leurs parents fume. Il passe ainsi de 23 pour cent à 48 pour cent quand le père fume, de 32 pour cent à 50 pour cent quand la mère fume et de 29 pour cent à 52 pour cent quand les deux parents fument. Pourquoi fumer devant les enfants est-il si marquant? Parce que les parents prennent du plaisir en fumant, ce qui reste gravé dans le psychisme de leurs enfants.
C’est ce plaisir qui est le fonde¬ment du conditionnement psychologique à la cigarette. Il est extrêmement puissant, et c’est ce même plaisir qui manque aux substituts nicotiniques classiques. La cigarette électronique répond au conditionnement, ce qui explique son succès et sa rapide diffusion auprès des fumeurs. Il est vraisemblable que, dans quelques années, le tabagisme aura notablement diminué grâce à ce substitut.

Pour marque-pages : permalien.
Un petit "J'aime" fait toujours plaisir !

Commenter

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*


cinq − 2 =

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>